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Des gouttes et des déserts jusqu'à la mer
Journal d'une île soufflée à servir chaude
À quelqu'un.


-- Journal d'une île soufflée à servir chaude --


Si j'étais une loi physique, je serais celle de la pression.
Il y a toujours une force inconnue qui essaye de grimper en moi, puis de
me distendre. Comme si j'étais l'escalier d'un phare à grimper au
fur et à mesure qu'il se constitue.
Comme si la lumière devait à tout prix prendre possession d'un gouffre.

Avant, j'évitais de lever les épaules, pour ne pas me retrouver perchée
sur des légendes de marins qui auraient cru m'apercevoir. Je devais
demeurer fantomatique, historique, prononcée à mi-voix entre les deux
pages les moins reconnaissables d'un livre.

Je voulais ressembler aux autres, être une île plate qu'une demi-main
suffirait à calmer. Une progression végétale au couleurs décalées : tige
rouge, sève bleue, lisière d'or scintillant sous l'eau.
Une sorte de néant bien habillé.

Entre temps, il y a eu le vent, le chien fou qui court à reculons,
l'ancre déserte qui s'alourdit autour du cœur.
Entre temps, il y a eu le souffle des hommes qui m'ont ranimée,
étourdie, faite tourner des centaines de fois sur moi-même.
Il y a eu la danse rieuse du réchauffement.

Par leurs plongeons répétés, les hommes ont recousu mon eau. À chaque
remontée, ils laissaient un peu plus d'eux mêmes au pied de ma falaise.
Quand leurs moitiés sont devenues égales, elles se sont réunies en
rites, consumées en roues autour des villages.

Entre temps, il y a eu le souffle, le tapis interne qui a modelé ma
forme, l'évasion des mots hors de mon centre aveugle où je n'existe
qu'en projet.

Maintenant, on me sert telle quelle, avec mes mouvements irréguliers
de jeune planète, avec mes racines qui gouttent, avec mon corps ramené
vivant d'un long sommeil sans rêves.

Des maisons blanches habitées par des femmes sombres ont soulevé ma
terre. Elles ne montraient leur couleur que la nuit, se transformant en
grands oiseaux lumineux qui se frottaient contre moi.

Mes habitants se livraient à des cérémonies au sens connu d'eux seuls :
clapotis de mains dans les vagues, chants soutenus par le battement des
pieds, terres venues d'autres mondes versées en poudre dans mon volcan.
Poissons fabuleux accrochés à leurs chevilles, ils soufflaient des
secondes, entreposaient des chants dans ma crique, leur vibration
entourée d'un coquillage.
Ils soufflaient dans des instruments faits de ma matière, combinaient
des notes avec des densités, des syllabes avec des forces.

Avec eux, j'ai dérivé vers l'éclosion des seins du temps puis je me suis
soulevée pour vivre.
Ecrit par Salamandre, le Mercredi 26 Mai 2004, 23:27 dans la rubrique "Mon partageoème".


Commentaires :

  Soleil-en-manteau-de-neige
Soleil-en-manteau-de-neige
29-05-04
à 23:42

Tout simplement envie de dire que ce texte est magnifique même si j'avoue vers la fin je me suis egaré et j'ai laissé suivre tes mots, je sais pas comment comprendre ce texte , moi j'y es vu ( c'est peut etre tres tres faux ... ) donc j'y ai vu le sentiment de ne pas vouloir etre illusion ( j'ai  remarqué ou cru remarqué ça qd tu parle du monde marin )
Ce texte est surprenant et je m'y suis perdu... un peu egaré et sublimé par les mots ... 
Egaré car je ve toujours trouver une explication a tout et que là g pas reussit a tout decripter...

Je me premet cette petite reflexion : J'aime tes textes, il m'inspire le Cubisme, une superposition de phrases, de mots, de lettre donnant formes a un chef d'oeuvre...

Voilà...

Bise a toi

Elodie


  Salamandre
Salamandre
10-06-04
à 14:08

Re:

Bonjour Élodie,

Comme souvent, tu as mis en plein dans le mille. Je ne fais pas de la vraie poésie (je ne saurais pas, tout simplement), mais plutôt des tableaux de mots, voire des cinémots, des petits films sensoriels.

D'ailleurs, quand j'écris, je vois tout et je sens tout. Si mon personnage court, je suis épuisé :-)
"Ne pas vouloir être illusion" oui, dans le sens où on se cache souvent sa réalité, parfois aussi d'autres veulent nous en détourner. La mienne, c'est que tout est vivant et que tout est possible, même ce qui n'a pas l'air de l'être ou qui ne se voit pas.

Je te souhaite une grande réussite dans tes épreuves et beaucoup de bonheur à toi, cher Regard-Qui-Voit-Vraiment, et à ceux que tu aimes, dont ton si adorable petit frère et ton Indochéri.

Stéphane.